
Action contre le vendeur d'immeuble à construire
Auteurs : Virginie Mauve , Nicolas Rosain et Ghislaine Betton
Publié le :
31/05/2021
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2021
Concours d'action entre garantie décennale et garantie des vices apparents
Lorsqu’un immeuble est vendu en l’état futur d’achèvement, le promoteur revêt une double casquette, celle de vendeur d’un bien futur et celle de constructeur de l’ouvrage.
Il est tenu envers l’acquéreur, en sa qualité de vendeur, d’une garantie des vices de construction et des défauts de conformité apparents à la livraison de l’immeuble et, en sa qualité de constructeur, d’une garantie décennale.
Les actions fondées sur ces deux garanties ont nourri un contentieux important, à l’égard des conditions et des délais de mise en œuvre, mais c’est leur combinaison qui suscite présentement l’attention à travers un arrêt rendu en ce début d’année par la Cour de cassation.
Cass. 3ème civ., 14 janvier 2021, n°19-21.130
Par cette décision, la Haute juridiction rappelle que l’acquéreur d’un immeuble à construire peut agir concurremment sur le fondement de ces deux garanties, en précisant que le caractère apparent des désordres, dont il est demandé réparation sur le fondement de la garantie décennale, doit s’apprécier en la personne du maître de l’ouvrage et au jour de la réception de l’immeuble.
En l’espèce, une SCI a fait construire un ensemble immobilier, réceptionné sans réserve entre 2006 et 2009, mais la livraison des parties communes n’est intervenue qu’en 2010.
En 2013, le Syndicat des copropriétaires a agi à l’encontre de la SCI. Une expertise judiciaire a été ordonnée, dont il est résulté que les désordres étaient cachés lors de la réception des travaux et ne se sont révélés qu’au stade de la livraison. Le contentieux s’est alors centré sur la question de savoir quelles garanties mobilisées et si leurs délais de mise en œuvre étaient respectés.
A titre liminaire, il convient de rappeler que si le syndic ne possède pas la qualité d’acquéreur, il dispose tout de même du pouvoir d’agir en justice « en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble » (Cass. 3ème civ., 7 septembre 2011, n°09-70.993).
La première action envisageable à l’encontre du vendeur est celle fondée sur l’article 1642-1 du Code civil, permettant à l’acquéreur de l’immeuble d’obtenir réparation des vices de construction et défauts de conformité apparents lors de la livraison ou apparus dans le mois suivant la livraison, et ce, dans la mesure où ils ne pouvaient être connus au jour de la vente.
En vertu de l’alinéa 2 de l’article 1648 du Code civil, une telle action doit être intentée « dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents », soit dans un délai maximal de 13 mois à compter de la livraison.
La seconde action concomitante possible est celle fondée sur l’article 1646-1 du Code civil, soumettant le vendeur d’immeuble à construire à la garantie décennale des constructeurs, régie par les articles 1792 et suivants du Code civil.
Le vendeur d’immeuble à construire est ainsi tenu des désordres apparus postérieurement à la réception de l’ouvrage, opérée entre lui-même et les constructeurs, pendant un délai de dix ans courant à compter de la réception.
Dans la présente espèce, la Cour d’Appel avait déclaré forcloses – c’est-à-dire la perte d’un droit non exercé dans les délais impartis – les demandes du syndicat des copropriétaires en réparation, sur le fondement de la responsabilité décennale du constructeur-vendeur, des désordres du fait de leur caractère apparent à la livraison, de sorte que l’action aurait dû être engagée dans le délai prévu à l’article 1648 précité.
La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt en considérant que « le caractère apparent ou caché d'un désordre dont la réparation est sollicitée sur le fondement des articles 1646-1 et 1792 et suivants du Code civil s'appréciant en la personne du maître de l'ouvrage et à la date de la réception, il importe peu que le vice de construction ait été apparent à la date de la prise de possession par l'acquéreur ».
De fait, les juges d’appel avaient appliqué, à l’action en garantie décennale des articles 1646-1 et 1792 et suivants du Code civil, les conditions de mise en œuvre et de délai de l’action en garantie des vices et non conformités apparents de l’immeuble des articles 1642-1 et 1648 du Code civil.
Elle énonce que, dès lors que les conditions de mobilisation de ces garanties étaient réunies, l’acquéreur bénéficie du concours de chacune, de sorte que pour apprécier la recevabilité de l’action fondée sur l’article 1792 du Code civil, il emporte de vérifier si les conditions de la garantie décennale étaient réunies, peu important la connaissance du vice à la date de prise de possession de l’immeuble.
En conséquence, le caractère caché du vice doit s’apprécier en la personne du maître d’ouvrage et à la date de réception de l’immeuble, conformément à la jurisprudence constante rendue en la matière (Cass. 3ème civ., 19 septembre 2019, n°18-19.918). En effet, selon l’article 1792-6 du Code civil, la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve, de sorte que la garantie décennale dont devait bénéficier le syndicat commençait à courir à partir de cette date.
Il incombe néanmoins de vérifier si la garantie décennale peut être mobilisée, soit lorsque :
- survient un vice d’une certaine gravité qui compromet la solidité de l’ouvrage ;
- survient un vice rendant le bien impropre à son usage, que ce soit un élément constitutif de l’ouvrage ou un élément d’équipement indissociable de celui-ci.
En revanche, la réception et la livraison de l’immeuble sont généralement proches en pratique et, dès lors, si des vices sont apparents à la livraison, cela peut implicitement induire qu’ils devaient également connus à la réception. Si les dommages ne sont pas cachés à réception, ce dont le demandeur doit rapporter la preuve, alors la garantie décennale ne peut être mis en œuvre.
En tout état de cause, le droit de la construction est un droit sensible, faisant intervenir de nombreux acteurs, mettant en cause diverses responsabilités et mobilisant plusieurs garanties. La rigueur doit être de mise, afin de mesurer quels sont les droits de chacun et quand il est possible de les mettre en œuvre.
Fort de son expertise, le Cabinet PIVOINE AVOCATS vous conseille et vous accompagne dans toutes les problématiques que vous pouvez rencontrer relatives à la responsabilité des constructeurs.
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