
Éclairage sur le sort des créances en comptes courants d'associés en cas d’annulation d’une cession de titres
Auteur : Julien Skeif et Ghislaine Betton
Publié le :
23/03/2022
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Mode de financement incontournable des sociétés civiles et commerciales, l’apport en compte courant permet à un associé de consentir une avance de fonds à la société dans laquelle il détient des titres, afin d’abonder ponctuellement la trésorerie de cette dernière.
La créance correspondante est ensuite inscrite en comptabilité jusqu’à son remboursement, sur simple demande de l’associé concerné, ou selon les modalités convenues entre les parties.
Ce mécanisme, simple en apparence, recèle toutefois son lot de difficultés juridiques, notamment lorsqu’à la suite d’une cession de titres, la qualité d’associé ne coïncide plus nécessairement avec celle de prêteur, créancier de la société.
En effet, malgré des solutions solidement établies par la jurisprudence, les contentieux sur ce point restent relativement abondants, et les décisions de justice afférentes apportent, encore aujourd’hui, leur lot d’enseignements pratiques.
Tel est le cas de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 7 juillet 2021 (1)
En l’espèce, après avoir racheté l'intégralité des parts sociales composant le capital d'une société ainsi que les créances en comptes courants des associés cédants, le cessionnaire a découvert que les locaux de cette dernière n’étaient pas conformes à la règlementation en vigueur, et ne lui permettaient pas de poursuivre son activité.
Estimant avoir été victime d’un dol, celui-ci a donc engagé une action en justice afin d’obtenir l’annulation de la cession des titres.
Rejetée en première instance, cette demande a par la suite été accueillie par la cour d’appel de Paris qui, par un arrêt du 16 mai 2019 (2) a non seulement annulé la cession des parts sociales, mais également celle des créances en comptes courants d’associés.
Pourtant, le cessionnaire avait omis de solliciter cette seconde annulation.
En conséquence, considérant que les juges du fond ne pouvaient aucunement statuer ultra petita, c’est-à-dire au-delà de ce qui leur était demandé, et que la cession des parts sociales et celle des comptes courants d’associés étaient indépendantes l’une de l’autre, les cédants ont formé un pourvoi en cassation.
Se posait donc la question de savoir si la nullité d’une cession de droits sociaux doit entrainer celle de la cession des créances en comptes courants d'associés conclue concomitamment.
La juridiction suprême a répondu par l’affirmative, approuvant les juges du fond d’avoir tout à la fois considéré :
- Que l’acte prévoyait, sans distinction, un prix global pour la cession de l’intégralité des parts sociales et celle des créances attachées aux comptes courants d’associés des cédants ;
- Que de ce fait, l’objet de la convention litigieuse était indivisible, la cession de parts sociales étant conditionnée à celle des comptes courants et que les parties étaient convenues de souscrire des obligations cumulatives ;
- Qu’en conséquence, la demande d’annulation de la cession des parts sociales impliquait également celle de la cession des créances en comptes courants.
1) Cass. com., 7 juillet 2021, 19-20.746 2) Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 16 mai 2019, n° 18/20411Si le raisonnement apparait logique, il mérite toutefois d’être confronté aux solutions habituellement retenues en pareille matière pour être bien compris.
Pour mémoire en effet, une jurisprudence constante sur ce point (1) considère qu’une cession de droits sociaux n’équivaut pas à une cession de compte courant d’associé.
Ainsi, bien que nul ne puisse être apporteur en compte courant s’il n’est préalablement associé, les deux qualités sont juridiquement bien distinctes.
En conséquence, le compte courant d'associé n’est pas un accessoire des parts sociales ou des actions, de sorte que sauf accord entre les parties, il demeure indépendant des droits sociaux cédés et son titulaire reste le cédant.
De ce point de vue, la solution retenue par la Cour de cassation pourrait interpeller, puisqu’en annulant l’acte dans son ensemble, la haute Cour a, au contraire, lié le sort de la cession des titres à celui de la cession des créances en comptes courants, et ce, nonobstant l’absence de demande formulée par le cessionnaire à cette fin.
En réalité, le raisonnement s’inscrit dans la lignée des solutions antérieures puisqu’en l’espèce, l’indépendance de principe des deux cessions a bien été écartée en considération d’un accord entre les parties.
L’élément original réside sans doute dans le fait que cet accord n’était pas expressément stipulé dans l’acte, mais a été déduit par les juges du fonds, approuvés par la Haute Cour, de l’interprétation du contrat et de la volonté des parties.
Que faut-il donc en retenir ?
Prise strictement, cette décision nous enseigne que la stipulation d’un prix global pour les titres cédés et les créances en comptes courants d’associés est susceptible d’être interprétée par les juges comme une volonté des parties de rendre ces éléments indivisibles et de lier leur sort.
Plus généralement, elle nous rappelle que si les cessions de titres sont des opérations courantes dans la vie des affaires et que certaines solutions semblent bien établies, le recours à un professionnel demeure le seul moyen de sécuriser l’ensemble de leurs aspects et de leurs conséquences ultérieures.
Fort de son expertise, le Cabinet Pivoine Avocats vous conseille et vous accompagne à l’occasion de la cession de vos parts sociales et de vos actions.
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(1) V. notamment : Cass. com., 11 sept. 2012, n° 11-20.034 ; Cass. com., 11 janv. 2017, n° 15-14.064
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