
La responsabilité pénale d’une société mère
Auteurs : Ghislaine Betton, Alice Herole et Corentin Auve
Publié le :
25/08/2021
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août
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2021
Du fait des salariés de ses filiales
Cass. crim., 16 juin 2021, n° 20-83.098
Initialement conçu comme très restreint, le périmètre de la responsabilité pénale des personnes morales ne cesse d’être élargi par la Jurisprudence, au profit de l’appréhension de la réalité économique des montages sociétaires qui se présentent aux Juridictions pénales.
Ce courant Jurisprudentiel actuel a récemment donné lieu à un revirement de jurisprudence concernant la responsabilité des sociétés absorbantes pour des infractions commises par la société absorbée (Cass, crim, 25 novembre 2020 n°18-86.955 ; voir l’article « Fusion Absorption »).
Le 16 Juin 2021, c’est une nouvelle illustration de cette tendance qui a été donnée par la Cour de cassation dans une décision adoptant une approche particulièrement extensive des notions de « représentants » et d’« organes ».
Dans cette décision, de 2001 à 2004, la filiale d’une société mère spécialisée dans les télécommunications a reversé des commissions à des agents publics du Costa Rica, dans l’optique d’obtenir et de conserver des marchés représentants près 300 millions de dollars, ceci sous couvert de contrats de consultant signé par une autre filiale du groupe.
Ces agissements avaient, préalablement, été approuvés par un Risk Assessment Committee (RAC) central, composé de dirigeants du groupe, dans le cadre d’une fiche de rentabilité du projet dite « IPIS ». Puis, ils ont été mis en œuvre sous la direction du responsable de l’AREA 1, à savoir une entité virtuelle du groupe dédiée à l’aire géographique où se situe le Costa Rica.
A l’issue d’une information judiciaire les directeurs, et responsables, des filiales concernées, de l’AREA 1, ainsi que la société mère, sont renvoyés devant le Tribunal correctionnel pour corruption active d’agents publics étrangers. Toutefois, la Juridiction prononce une relaxe.
Appel est interjeté contre cette décision.
La Juridiction d’appel, quant à elle, décide d’entrer en voie de condamnation à l’encontre de la société mère.
Un pourvoi en cassation est alors formé par celle-ci, sur le fondement des deux principaux moyens suivants :
- Premièrement, une filiale ne pourrait constituer le représentant de la société mère, au sens de l’article 121-2 du Code pénal, qu’à la condition que l’existence d’une délégation de pouvoir soit caractérisée, ce que n’aurait pas fait les Juges d’appel dans leur décision ;
- Deuxièmement, le « RAC Central » ne saurait être considéré comme étant un organe au sens de l’article 121-2 du Code pénal, comme l’ont retenu les Juges du fond dans leur arrêt.
C’est justement sur ces notions d’« organes » et de « représentants » que la Cour de cassation va s’appuyer pour rejeter le pourvoi formulé par la société mère.
En effet, dans sa réponse la Cour met en exergue les points suivants :
- D’une part, les représentants des filiales, de l’AREA 1, et le RAC central, peuvent avoir les qualités de représentants et d’organes de la société mère au sens de l’article 121-2 du Code pénal, dans la mesure où la mise en œuvre des faits de corruption a nécessité l’approbation de l’IPIS par le RAC central (composé de dirigeants du groupe), ou le RAC local (composé de dirigeants de filiales signataires), ainsi que l’accord de recruter des consultants donné par le directeur de l’AREA 1, puis la signature de l’échéancier et du montant des commissions reversées, ainsi que l’identité du bénéficiaire des commissions, par le représentants des filiales, le directeur de l’AREA, et les présidents des business division concernées.
- D’autre part, la société mère a mis en place, depuis les années 90, une organisation matricielle avec la création de deux entités virtuelles et transversales dépourvues de personnalité juridique, regroupant les secteurs d’activité (business groupes) et les zones géographiques (Areas), qui ignorait les structures juridiques liant la société mère à ses filiales. Ceci de sorte que chaque employé des business division ou d’Areas était juridiquement rattaché à une filiale en tant que salarié. Une double hiérarchie existait alors pour ces employés, à savoir juridique pour leur statut de salariés, et de fait dans le cadre de l’organisation matricielle du groupe. In fine, les salariés étaient donc rattachés, de fait, à la société mère, et pouvaient en raison de leurs fonctions être les représentants de celle-ci lors de l’accomplissement des faits de corruption.
La présente décision rappelle très justement qu’il n’est pas nécessaire qu’une délégation de pouvoirs soit caractérisée pour qualifier une personne de représentante de la personne morale, au sens de l’article 121-2 du Code pénal.
Il est, effectivement, de Jurisprudence constante que la délégation de pouvoirs est une condition suffisante pour retenir la représentation mais qu’elle n’est pas, pour autant, une condition nécessaire à celle-ci.
En revanche, elle étend les notions de « représentants » et d’« organes », par référence à une chaîne de prise de décision, impliquant à la fois des dirigeants de filiales, des dirigeants du groupe, et des directeurs d’Areas, et de business groupes, faisant partie d’une « organisation matricielle », dont le seul et unique objectif est de mettre en œuvre une politique de groupe, se traduisant dans les faits par la corruption active d’agents publics.
En définitive, les fondements de cette décision reposent principalement sur l’organisation spécifique du groupe de sociétés illustré par les faits de l’espèce.
Elle appelle, malgré tout, à la vigilance toutes les organisations similaires où la politique de groupe est forte. En effet, la clarté dans le rôle de certaines filiales ainsi que l’articulation de leurs actions avec celles de société mère sont bien souvent des sujets de réflexion négligés par les organes de direction.
À cet égard, Pivoine vous accompagne pour vérifier la cohérence et la validité des montages juridiques et plus généralement de l’organisation des groupes de sociétés.
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