
Appréciation de la contrefaçon des dessins et modèles
Auteur : Alice Herole et Ghislaine Betton
Publié le :
12/11/2021
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2021
En matière de dessins et de modèles, l’article 513-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose que :
« La protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente »
L’article 10 du Règlement du 12 décembre 2001 dispose, quant à lui, que :
« 1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente.
2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle »
Dans un arrêt du 23 juin 2021, la Haute Cour vient récemment de clarifier l’appréciation de la contrefaçon, en application de ces deux articles. Il ressort de sa décision qu’il existe une contrefaçon lorsque l’observateur averti identifie une même impression visuelle d’ensemble entre un dessin ou un modèle, et sa copie (Cass, com, 23 juin 2021 n°19-18.111).
Les circonstances sont les suivantes : la société Lalique a créé, et commercialise une gamme de verres à pied nommée « 100 Points », caractérisée par une tige définie par la combinaison d’une figure haute polie transparente, d’une figure basse polie transparente d’une hauteur double et d’un diamètre supérieur à ceux de la figure haute, et d’une figure centrale satinée comportant un renflement dans sa partie supérieure, les figures haute et basse formant deux points lumineux transparents contrastant avec la figure centrale satinée.
Celle-ci estime être titulaire de droits d’auteur sur ce type de verres. Elle a, en outre, déposé deux modèles pour cette gamme :
- Un modèle communautaire, le 26 septembre 2012, sous le n°2019439-0001 ;
- Un modèle international visant la France, le 25 mars 2013, sous le n°DM/080502.
Le TGI saisi n’a pas retenu de contrefaçon. Il a notamment rejeté la contrefaçon des modèles, aux motifs que les verres « 100 points » et « Glitz » présentaient une impression visuelle d’ensemble différente, en accentuant la présence de stries sur la tige du verre « 100 points », alors que la tige « Glitz » présentait une surface lisse.
Cette décision a été infirmée par la Cour d’appel qui a :
- Jugé qu’il existait une contrefaçon de droits d’auteur, aux motifs que l’originalité des verres « 100 points » n’était pas contesté ;
- Jugé qu’il existait une contrefaçon des modèles, aux motifs que la comparaison de ceux-ci avec les verres « Glitz » montrerait qu’il s’agit de deux verres à vin dont la forme du gobelet est usuelle, et dont les tiges respectives donnent une impression visuelle globale d’identité.
« Les éléments d’identité entre les deux tiges étant dominants pour l’utilisateur averti, compte tenu de ce que la liberté du créateur pour une tige de verre à vin est relativement restreinte, les quelques différences relevées apparaissant à l’utilisateur averti comme des variantes insignifiantes d’exécution technique procurant la même impression d’ensemble d’une tige renflée dans sa partie supérieure dont le contraste de la partie opaque renflée avec les parties basse et haute transparentes donne l’effet de deux points lumineux »
La Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par les juges du fond car :
- Premièrement, la Cour a violé l’article 4 du Code de procédure civile, en modifiant l’objet du litige, en tenant pour établie l’originalité de la tige des verres « 100 Points », alors que, dans ses conclusions d’appel, la société Habitat France soutenait qu’au vu des antériorités de tiges de verre qu’elle produisait, la création de la société Lalique n’était pas originale ;
- Deuxièmement, la Cour a violé les articles L 513-5 du Code de la propriété intellectuelle et 10 du Règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, en retenant une contrefaçon de modèles, au seul motif que la tige de ces modèles de verre à vin et celle des verres « Glitz » produisaient la même impression visuelle. Ceci alors que, les modèles déposés portant sur un verre à vin, la Cour d’appel aurait dû rechercher si l’impression visuelle d’ensemble produite par les verres « Glitz » était identique ou différente de celle produite par le verre à vin protégé.
En effet, au regard de l’espèce, la manière d’apprécier la contrefaçon du modèle communautaire n°2019439-0001, et du modèle international n°DM/080502, visant la France, n’était pas évidente.
Plus précisément, la Cour d’appel semble avoir choisi de faire application des deux alinéas de l’article 10 du Règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001, aux termes desquels on peut comprendre que :
- la protection conférée par un dessin ou un modèle s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente,
- mais que la protection conférée ne s’attache qu’aux parties, du dessin ou du modèle, pour lesquelles le créateur a pu faire preuve d’un certain degré de liberté.
Le renflement des verres « 100 points » était, effectivement, pour elle, la seule partie des verres susceptible de témoigner d’un « certain degré de liberté du créateur », et donc de bénéficier de la protection des modèles, en application des deux alinéas de l’article 10 du Règlement.
En déduction, la Cour d’appel a apprécié la contrefaçon uniquement par rapport à l’impression visuelle d’ensemble existant entre la partie des modèles des verres « 100 points » qu’elle estimait « protégée » au sens de l’alinéa 2 de l’article 10 du Règlement, c’est-à-dire sa tige renflée, et la tige renflée des verres « Glitz ».
Or, la Cour de cassation, dans sa décision du 23 juin 2021, répond par la négative à cette forme d’appréciation de la contrefaçon de modèle, et élude complètement l’alinéa 2 de l’article 10 du Règlement du 12 décembre 2001.
Il convient donc de retenir que, pour la Haute Cour, l’appréciation de la contrefaçon d’un dessin ou d’un modèle nécessite seulement de rechercher si l’impression visuelle d’ensemble produite par une copie alléguée est identique, ou différente, du dessin ou du modèle pour lequel la contrefaçon est invoquée.
Le Cabinet Pivoine est à vos côtés pour vous conseiller et vous assister dans le cadre du dépôt de vos dessins et modèles, ainsi qu’en cas de contentieux en matière de contrefaçon, et/ou de concurrence déloyale.
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